L’aïki-taïsô : une fausse bonne idée ?

Il y a trois ans, j’abordais sur ce site le foisonnement actuel de créations de disciplines « ludico-martiales » (génériquement dénommées « body martial art »), en indiquant que le phénomène relevait de deux facteurs très liés : captation de clientèle et diversification du marché. Ou inversement. Je rajoutais également que la construction de ces pratiques ne permettait pas, dans l’absolu, d’aborder la discipline martiale « mère », puisqu’elle en évacue l’essence même : la confrontation, ritualisée ou non. Et donc, l’aïki-taïsô dans tout ça ?

Un peu de contexte (?)

L’aïki-taïsô, littéralement préparation du corps par l’union des énergies, semble être l’un des derniers avatars en date de « body martial art » en provenance des fédérations (agréées)  d’aïkidô, en tout cas dans une version distincte d’un cours d’aïkidô « classique ». Elle bénéficie d’ores et déjà d’un affichage « officiel » (côté FFAB, elle est présente sur le site internet fédéral) soit non (côté FFAAA, on n’en voit pas trace à l’heure où j’écris ce billet). Si la pratique « annexe » existait déjà pour d’autres groupes (comme la 3A et d’autres groupes « kobayashistes », avec l’aïki(shin)taïsô pour ne citer qu’eux), je persiste à trouver la démarche d’amorçage d’une nouvelle activité physique très en phase (trop sans doute) avec deux données démographiques majeures concernant l’aïkidô en France. D’une part, la décroissance du nombre de pratiquants sur ces dernières années, et d’autre part, un vieillissement avéré de la population. Et de la nécessité d’y répondre. Si cette création constitue en plus une réponse à une instruction ministérielle (comme l’indique la plaquette FFAB), on peut penser jouer une martingale.

Oui mais pas forcément. Évacuons immédiatement la problématique « ministérielle », qui est finalement, assez annexe mais qui constitue un bon prétexte. Le document cité évoque le développement des activités physiques et sportives – facteurs d’« amélioration de la santé des populations » – et particulièrement à l’endroit de personnes malades, vieillissantes et/ou handicapées. Inutile de préciser que développement n’est pas synonyme de création, qu’il existe déjà un travail sur l’aïkidô et le handicap1, et qu’un enseignant « intelligent » saura (et devra) s’adapter à son public. Public qui est loin – forcément – de ne compter que des athlètes en pleine possession de leurs moyens.

Se développer, oui mais…

Il n’existe donc pas à mon sens de raison « (de politique de santé) publique » de proposer une nouvelle discipline telle que l’aïki-taïsô pour les fédérations agréées. Si ces raisons n’existent pas, c’est a priori que l’intérêt doit être ailleurs. Du point de vue de l’aïkidô, il pourrait être intéressant d’appuyer sur la préparation (du) physique2 à la pratique (c’est d’ailleurs le message de la FFAB). Préparation qui se fait habituellement dans le cadre même d’un cours (de taï jutsu, à mains nues), et qui est souvent perçue comme le moment par excellence où le pratiquant peut être « seul » avec sa pratique3, mais dans l’absolu en lien avec ce qui vient après. Pour citer Nobuyoshi Tamura, « pratiquer l’aïki-taïso, c’est déjà pratiquer l’aïkidô », car l’aïki-taïsô constitue(rait) une des trois facettes de l’aïkidô (avec le taï jutsu et le buki waza). A la condition expresse de pratiquer l’aïkidô, justement, c’est-à-dire aussi les autres facettes, à un moment ou à un autre.

Passons à un autre point4. Le contenu de la préparation physique est, de manière générale, liée à l’enseignement reçu (enseignant, type d’aïkidô pratiqué, etc.) et parfois au rapport de la pratique « aïkidô » à d’autres pratiques (de l’aïkidô ou non), qu’elles soient martiales ou de santé. Et de leur cohérence globale. Ainsi, pour prendre des exemples externes, des questions comme : est-ce que le kiko utilisé (version japonaise du qi qong), ou faut-il introduire des tanren d’aunkaï si l’on ne travaille pas la génération de forces, etc. sont pertinentes, et même au-delà, dans le cadre particulier de cet aïki-taïsô. Et ce d’autant plus que les systèmes sont a priori cohérents en eux-mêmes. Créer une pratique « à côté » comme un portail vers l’aïkidô (vers un aïkidô) nécessite ce genre de considération.

Où peut se situer l’effort ?

L’aïki-taïsô en tant que discipline indépendante fait donc face à plusieurs obstacles que je pense non négligeables. Son utilité principale m’apparaît comme relevant essentiellement des préoccupations des « body martial arts », à savoir : captation de clientèle et diversification du marché. La problématique majeure à laquelle fait face l’aïkidô en France est le vieillissement de sa population, sans réel renouvellement. L’aïki-taïsô « indépendant », vu comme une gymnastique douce, vise les publics de ce type de méthodes. C’est-à-dire pour une grande part les « seniors ». Si l’optique est de susciter à nouveau l’intérêt pour l’aïkidô, peut-être faudrait-il se concentrer a minima sur l’accès et la visibilité de celui-ci pour les plus jeunes, ceux qui prendront la suite…

Notes

1. Dans le cadre de l’AAHDVA, par exemple, mais pas seulement.
2. Pour (presque) citer un copain : « il est surprenant de voir des élèves aussi apathiques que des teckels anémiques ». A ce propos, on pourra se référer aussi à la réflexion sur la vitalité des pratiquants proposée par Léo Tamaki.
3. On pourra se référer à l’article de Guillaume Erard sur l’origine et les enjeux de la pratique solitaire en Aikido.
4. On évitera ainsi de se prononcer sur la pertinence de la création d’une activité « aïki buki waza », et de donner de mauvaises idées.

A propos G.

Pratiquant lambda.
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Un commentaire pour L’aïki-taïsô : une fausse bonne idée ?

  1. Ping : A lire en décembre 2017 – NicoBudo

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