Violence en aïkidô : une nécessité, pas une finalité

Ce billet a déjà été publié dans Self et Dragon spécial aïkido n°2, dans son dossier « L’aïkido et la violence ».

Cet article aurait pu être très court (et ce magazine très mince), et après un péremptoire « l’aïkidô est amour et harmonie », en déduire – fort logiquement – que la violence n’y est pas et ne peut pas y être présente. Cependant, ce raisonnement est à plusieurs titres erroné car simpliste à l’extrême, et il est sans doute de l’intérêt de la discipline de s’en convaincre. Dans cet article, différentes dimensions de la violence en aïkidô seront abordées.

A la source même

Tout aussi péremptoire que « l’aïkidô est amour et harmonie », a priori, le rappel du fait que l’aïkidô soit un art martial permet de situer la violence dans un espace de réflexion perpendiculaire (pour employer une allégorie mathématique) à une ligne « pacifique ». L’origine principale de l’aïkidô est, sans contestation possible à ce jour, le Daïtô ryû. Si les racines de cette école sont plus ou moins obscures, il n’est pas moins vrai aussi que sa dimension martiale n’est pas discutable : les techniques y sont produites dans un souci d’efficacité, et la nécessité de « préserver son partenaire » (on va y revenir) n’y est pas toujours d’une évidence criante. Autrement dit, la violence physique est indissociable de l’enseignement produit en Daïtô ryû, puisque le résultat recherché est une mise hors de combat, sans appel, d’un agresseur. Et ce n’est pas le professeur de Morihei Ueshiba, Sokaku Takeda, qui a atténué ce trait, renforcé par sa réputation personnelle (basée sur les confrontations). Comment une discipline basée sur cette école peut prétendre ignorer la violence ?

L’histoire montre que, justement, il n’a jamais été question d’évacuer cette dimension. Comme l’a rappelé Pierre Fissier dans sa série sur le fondateur de l’aïkidô, L’Homme Dragon, Morihei Ueshiba est d’abord et avant tout un pratiquant d’arts martiaux, qui a eu l’occasion d’enseigner le juken jutsu dans les troupes japonaises, puis le Daïtô ryû par la suite, en particulier aux employés du journal Asahi Shinbun à Osaka. Ce groupe, dont faisait partie Hisa Takuma, est à l’origine de la branche Takumakaï du style. Cet enseignement ayant pour but de donner à ce groupe des moyens de se défendre contre des agressions répétées de bandes armées, il semble aller de soi que les outils proposés se devaient d’être pour le moins dissuasives. C’est d’ailleurs, comme le prouve Maki no ichi (1952), plus qu’une simple origine, mais une véritable continuité existante entre cette école et l’aïkidô, sans qu’il soit réellement question de couper le cordon, au moins techniquement. Au-delà de toute revendication de « lignage », ce fait est complété par l’existence même d’un travail des armes du fondateur – a minima pour son entraînement personnel – sans parler de ceux proposés par les différents maîtres revendiquant son héritage. Une arme, même en bois, même en aïkidô (rajouterons certains), est tout à fait autre chose qu’un simple accessoire d’apparat : elle possède intrinsèquement un potentiel de violence. Dans aucune de ses dimensions techniques historiques, l’aïkidô n’évite la violence.

La nécessité absolue de la violence dans l’entraînement

D’un point de vue « pratique », on peut aussi faire quelques constats simples. Sans violence, pas de frappe, pas de saisie, pas de clé, du moins pas avec un sens réel. Pas de projection non plus, et pas plus d’ukemi. Sans violence, pas d’intention, pas d’engagement. Pas de danger, donc pas de vigilance. Sans violence, la coopération – nécessaire à l’entraînement – est forcément vide, et transforme un art martial en ballet. Ce n’est pas forcément moins exigeant physiquement, au contraire, mais c’est tout simplement autre chose. Sans violence, pas de nécessité de s’en prémunir, puis de la contrôler chez l’autre, donc pas de progression possible, puisqu’on reste dans une zone de confort intangible. Cependant, dans tous ces cas, le niveau de violence, ou plutôt du potentiel de violence intrinsèque à toute action dans l’étude, doit s’adapter au niveau de l’élève. Ainsi, s’il semble impensable de catapulter un débutant isolé dans un cours très avancé, c’est en raison d’une accumulation de paramètres à gérer, et en particulier de la capacité à réagir à une violence qui est moins formalisée et donc moins bridée que lors d’une initiation. Mais est-ce propre à l’aïkidô ? Non.

La gradation du niveau de violence potentielle (certains remplaceront cette dernière expression par le terme de « pression »), qui n’est pas à confondre avec une violence gratuite donc non justifiée, est d’ailleurs un ressort pédagogique. Dans le cadre de pratique qui est le mien (et dans d’autres également, sans trop de risque de me tromper), les premiers pas dans la discipline sont d’abord guidés par un apprentissage technique « simple », dans lequel le pratiquant est mis en sécurité (le danger est loin d’être apparent) et surtout apprend à se mettre en sécurité. Puis les paliers sont franchis peu à peu, jusqu’à viser – dans l’absolu – une appropriation des principes de la discipline et leur expression dans un contexte défavorable. Dans une progression de ce type, la violence se place (ou doit se placer) à un niveau « acceptable » pour le pratiquant, d’intensité progressive tout au long de ces paliers. Acceptable, tout d’abord parce que l’intensité ou la forme de cette violence peut être comprise comme un des paramètres d’une situation à gérer par celui qui la subit, qu’elle soit initiale (Tori) ou transformée (Uke). Acceptable aussi parce qu’elle sert d’appui à ce qui vient après en terme de progression. Acceptable enfin, parce que la pratique d’un art martial nécessite l’expérience de la violence, tout simplement. Mais la violence n’est ni synonyme de brutalité volontaire, de « force », ou encore de douleur.

Le paradoxe apparent

Il est important de réaliser, à ce moment, qu’il y a une nécessaire distinction entre la notion de violence et celle même de militarisme (ou de nationalisme exacerbé) et de pacifisme. Parce que l’argument majeur qui semble s’opposer à l’idée même de violence en aïkidô est qu’il s’agirait, comme le souhaitait apparemment son fondateur, d’un « art martial pacifiste » ce qui est un bel oxymore. Le pacifisme, la volonté de paix, a parfois l’acception de non-violence (ou absence d’action violente) : dans cette optique, la notion même de frappe, la notion même de saisie, etc. devient impossible car contraire à l’« esprit » de la discipline. Pour – à peine – paraphraser un auteur, si ce n’est pas parce qu’on appelle tarte une brique qu’elle en devient comestible, ce n’est pas non plus en appelant aïkidô une discipline du corps expurgée de ses outils qu’elle devient de l’aïkidô. Autant ne pas monter sur le tatami. Par contre, si le pacifisme est vraiment la volonté de paix, et non une absence d’action violente, c’est-à-dire un but à atteindre, alors le paradoxe peut être levé.

On touche là à l’une des bases de l’aïkidô moderne, celle d’une discipline pouvant contribuer à la bonne entente (la paix) entre les pratiquants et au-delà. Le pacifisme visé par l’aïkidô est double, et peut être résumé par la combinais d’une expression : « si vis pacem, para bellum » et une image, celle du « le guerrier pacifique ». De fait, si, pour citer le fondateur lui-même, « la finalité de l’aïkidô est de s’harmoniser au divin et d’œuvrer pour un monde meilleur » (ce qui sonne très bien mais reste peu clair sorti d’un contexte que même son entourage proche avait du mal à appréhender), le message reste peu explicite sur les moyens d’y arriver… Prévenir le conflit en le préparant (par l’usage d’une violence contrôlée dans un cadre éducatif) « au cas où » ; être capable, puis faire le choix des solutions pouvant s’appliquer dans le conflit en montrant l’inutilité de l’agression est possible à la condition d’utiliser, justement, cette violence « gratuite » pour la dépasser. Une agression c’est l’occasion pour des agresseurs de voir leurs nerfs soulagés dans un premier temps, mais si on considère la situation avec un minimum de recul (obligatoire car subi), on s’aperçoit que le transport d’une hargne sur l’agressé n’est pas départi d’une certaine forme d’absurdité. Et là, on s’impose la question : est-ce que ça vaut bien le coup ?

Pour conclure, étant persuadé que la violence, dirigée et maîtrisée est nécessaire à l’apprentissage et à la compréhension de l’aïkidô, qu’elle y est fondamentalement présente et qu’elle en est indissociable, je reste très dubitatif à la fois sur la présentation de la discipline comme non-violente et professant un pacifisme, pour tout estimable qu’il soit, aveugle à tout aspect martial. Dans le fond, si l’aïkidô est une voie, un dô, il s’agit de bien de se réaliser en dépassant la violence, qu’elle soit gratuite ou nécessaire, la sienne propre ou celle de l’autre.

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A propos G.

Pratiquant lambda.
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2 commentaires pour Violence en aïkidô : une nécessité, pas une finalité

  1. Алла dit :

    Dans ces phrases de Morihei UESHIBA, il est mis l’accent sur la necessite de ne pas repandre la violence et de preserver la Nature. Nature au sens propre evidemment, mais egalement notre propre nature, notre identite d’etre humain.

  2. Ping : Aikidô, pratique féminine et communication | Paresse martiale – 怠惰武道

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