L’aïkidô en France : quelques éléments d’une évolution démographique (deuxième partie)

Ce billet est la suite de L’aïkidô en France : quelques éléments d’une évolution démographique (première partie).

Dynamique globale des licenciés en aïkidô

Même si les données collectées par l’auteur ne permettent pas d’avoir un panorama complet de l’évolution du nombre de licenciés depuis la création des fédérations aujourd’hui agréées par l’Etat1, elles permettent néanmoins de couvrir une période de 15 années, depuis les années 2000, pour le nombre de licenciés de chacune de ces fédérations. Et d’indiquer certaines tendances, ponctuelles ou installées.

Évolution du nombre de licenciés dans les fédérations agréées par l’Etat pour l’aïkidô de 2000 à 2015.

Tout d’abord, il ne faut pas oublier qu’il est (était) très difficile de ne s’en tenir qu’aux seuls nombres de licences pour expliquer des tendances de fond (comme un désintérêt ou un intérêt pour la discipline). En effet, et comme déjà indiqué plus haut, quelques mouvements de groupes impliquent des transferts de licenciés entre fédérations, vers les fédérations (intégration, comme le ki no michi en 2001 pour la FFAAA) ou en dehors (sortie). Cependant, avant 1996, sauf cas exceptionnel en terme de représentation (ce fut le cas du GAAN), on n’observe pas de rupture nette de pente (donc de départ de groupes importants) dans les courbes d’évolution du nombre de licenciés pour les deux fédérations ; la FFAB est, globalement, sur la grosse dizaine d’années allant de sa création à 1996 la fédération majoritaire. A partir des années 2000 (graphique présenté), la FFAAA s’impose à son tour en nombre de licenciés : elle dépassera à plusieurs reprises la barre des 30000 licenciés, la FFAB ne dépassant la barre des 29000 qu’à une seule reprise (2001) en 16 ans. Sur les 16 années considérées, le nombre de licenciés est globalement à la baisse pour les deux fédérations, et ce même si cette baisse n’est pas uniforme (-1332 licenciés pour la FFAAA, -2500 pour la FFAB).

Cependant, comme le lecteur aura pu s’en rendre compte en considérant les histogrammes, plusieurs autres tendances peuvent être déduites. La principale, comme indiqué ci-dessus, est que l’évolution de ce nombre de licenciés n’est pas constante. On observe ici non seulement des variations dans l’intensité2 (de -5 à plus de 8 %), mais aussi dans la monotonie (variation du sens de modification). Sur la période considérée, on constate – particulièrement sur les données FFAB – sur les 9 premières années, une augmentation (relative) quadriennale du nombre de licenciés, à année olympique +1 (2001, 2005 et 2009). Cette dynamique n’apparaît plus en 2013, quelle que soit la fédération. De fait, l’année 2012 voit le début d’une décroissance du nombre global de licenciés des fédérations agréées par l’Etat pour l’aïkidô, qui n’a, semble-t-il, pas été influencée notablement par des évènements propres au monde de l’aïkidô (comme le décès de maître Tamura en juillet 2010).

Enfin, de manière plus globale, si l’on compare l’évolution de la population de licenciés en France à celle de la population française, le recul de la pratique de l’aïkidô en France est encore plus flagrant. En effet, selon les chiffres de l’INSEE et de l’INED, la population française est passée d’environ 58 millions à environ 64 millions d’habitants sur la plage de temps considérée (2000-2015), soit une augmentation de 9,2 %, tandis que celle des licenciés (total FFAB + FFAAA) passait de 57168 à 53336, soit 6,7 % de baisse. Si le nombre des licenciés était resté proportionnelle à celui de la population française, le nombre de licenciés en 2015 serait de 62427, soit une différence de plus de 9000.

Cette remarque n’est pas seulement une vue de l’esprit : à l’exception notable de la FFE et des fédérations d’aïkidô, les FFSCAM « stables » (ce qui exclut les mouvements de fusion/séparation de grande échelle ayant touché la FFKDA, la FFAEMC et la FFKBMTDA) ont globalement vu leurs effectifs augmenter sur la période couverte, y compris sur les deux dernières olympiades.

Quelques considérations moins générales

La première des autres considérations à faire est la disparité dans la répartition géographique des licenciés, quelle que soit la fédération et l’année considérée. De manière constante dans le temps, l’Ile-de-France est la région3 qui compte à la fois le plus de clubs et de licenciés4, même s’il existe des zones à plus forte présence de licenciés, correspondant à la fois à des bassins de populations importants et d’implantations historiques de l’aïkidô (Ile-de-France donc, département de la Gironde, Côte-d’Azur). Trois autres zones (Rhône, Alsace et Nord-Pas-de-Calais) sont également concernées. L’évolution temporelle géographique sur les 16 années considérées montre d’ailleurs un certain « repli » vers ces zones. Cependant, ces nombres de licenciés sont à relativiser à la fois par rapport à la population, d’une part, et à la superficie des territoires considérés5. Ainsi, en 2015, la densité de licenciés par rapport à la population va de 1,51 licenciés6 pour 1000 habitants en Haute-Savoie à 0,2 en Haute-Loire, la moyenne sur les territoires de ces densités étant de 0,73 pour 1000 habitants ; un peu moins « utiles », mais restant instructives, les densités de licenciés en fonction de la superficie variant elle de 19,87 licencié par km² (Paris) à 0,003 (Guyane), la moyenne sur les territoires de ces densités étant de 0,5 licencié par km². On peut ainsi dire qu’il existe des zones peu atteintes par la pratique (de manière globale) ou pour l’une ou l’autre des fédérations agréées, ce qui se traduit également dans la répartition territoriale des clubs.

Une considération supplémentaire est à faire : les données considérées sont à l’échelle du département, et il existe des disparités de répartition au sein même de ces territoires. Ainsi, si l’on peut facilement, au vu de la répartition géographique des clubs sur le territoire national, supposer que l’implantation de l’aïkidô est essentiellement « urbaine », une analyse plus poussée sur quelques territoires « mixtes », comme le département de la Gironde, renforce cette impression7. Pousser plus loin cette analyse numérique restant assez difficile techniquement, en l’état actuel des données disponibles pour l’auteur, elle ne sera pas conduite plus avant8.

Comme indiqué plus haut, l’aïkidô présente, en termes de répartition des licenciés en âge, un profil assez similaire à ce que l’on peut trouver dans les autres FFSCAM. Cependant, la question qui se pose souvent est celle du vieillissement (et donc du renouvellement) des pratiquants.

Les histogrammes comparés de plusieurs années sur la période 2012-2015, que cela soit pour la FFAAA ou la FFAB, sont parlants. On peut observer des pentes négatives (décroissance des effectifs) dans le temps sur les classes d’âges inférieures pour les deux fédérations, et une pente positive (croissance des effectifs) pour les classes d’âges supérieures. Seule la classe d’âge d’ « inversion » change, se situant sur la classe d’âge « 50 à 54 ans » pour la FFAAA, « 44 à 49 ans » pour la FFAB. Dans une situation de baisse du nombre de licenciés répartie uniformément sur chaque classe d’âge, les pentes auraient été identiques pour chaque classe d’âges. De fait : les deux fédérations ont des effectifs vieillissants, et sur la période de temps observée, ce phénomène est d’autant plus marqué que les effectifs globaux diminuant, la proportion des licenciés des classes d’âges supérieurs augmente. Le renouvellement des licenciés ne se fait donc pas de manière satisfaisante, et démontre la perte d’attractivité de l’aïkidô, surtout envers les jeunes générations. Ce constat est sans doute à relier à la remarque faite plus haut : le repli géographique de l’aïkidô, tel que constaté, vers des zones à forte densité de peuplement l’expose dans le même temps à une concurrence plus vive, à la fois en terme de « puissance » d’occupation (il suffit de considérer les effectifs moyens d’un club affilié à la FFJDA ou à la FFKDA par rapport à ceux de la FFAAA ou de la FFAB) et d’offre (les nouvelles pratiques s’implantent plus facilement près des grands centres urbains).

D’autres informations peuvent être également mentionnées, même si certaines d’entre elles commencent à dater, parmi lesquelles :

  • l’âge moyen des professeurs d’aïkidô est plus élevé que dans la moyenne des FFSCAM9.
  • le taux d’abandon est assez élevé. Dans son étude des données de la FFAAA (saisons 1987 à 2005) datée de décembre 200810, Jean-Marie Duprez, chercheur à Lille et lui-même pratiquant, indique que plus de 60 % des premiers inscrits abandonnent en cours ou en fin de première année, la deuxième année voyant également près de 50 % de départs. A cinq ans, 10 % des premiers inscrits seront encore là, à 15 ans, 3 %. Cette information est à tempérer par l’existence de profils de pratiquants à interruptions passagères. Différents facteurs, certains contre-intuitifs, semblent émerger dans l’étude de Jean-Marie Duprez.
  • Selon l’étude précédente, l’accès au premier dan a été retardé de près de 5 ans sur la période 2001-2005.
  • Les secteurs géographiques à plus faibles densités de licenciés des fédérations agréées d’aïkidô ne sont pas ceux dans lesquels on peut trouver des concentrations importantes de clubs de groupes « indépendants ».

Pour plus de détails, le lecteur pourra consulter ces publications.

En conclusion(s)

Les données démographiques telles que fournies par le ministère en charge des sports, et donc par les fédérations agréées pour l’aïkidô, démontrent que le nombre de licenciés (et donc de pratiquants) est en baisse constante depuis quelques années. Cette évolution est visible à la fois sur les données brutes (c’est-à-dire les chiffres tels qu’ils sont communiqués), mais également sur les données comparées aux autres FFSCAM, et sur les chiffres que l’on pourrait extrapoler des données d’évolution de la population française. Elle est observable également géographiquement : si certaines aires étaient déjà pauvres en offre, d’autres en perdent. Dans ces deux cas, les « transferts » vers d’autres structures (fédérations « indépendantes ») sont à écarter des raisons imputables à ce constat, en raison même du caractère « installé » de ce phénomène, comme d’ailleurs des évènements précis, ponctuels. Au-delà de la perte en licenciés, l’aïkidô voit l’âge moyen de ses pratiquants augmenter, phénomène que les pratiquants perçoivent sans qu’ils n’aient effectivement les données.

La situation de l’aïkidô en France, des points de vue du nombre (d’une part) et de la répartition géographique (d’autre part) est objectivement moins bonne qu’il y a 15 ans. Si les raisons en sont multiples, internes ou externes, elles restent sans doute à définir de la manière la plus objective possible, pour, si une volonté de développement de la discipline existe (ou du moins une volonté d’enrayer l’érosion rapide qu’elle subit), apporter des réponses adaptées, quels que soient les acteurs concernés.

Sources et mentions

Les données utilisées dans cet article proviennent du site du Ministère des sports – rubrique statistiques. Les cartes géographiques (avant traitement) sont issues du site d-maps.com (France contours départements et cartes spécifiques pour les départements d’outre-mer). Les traitements de ces cartes et graphiques proposés (sauf illustrations de fonds) ont été produits par l’auteur.

Notes et références

1. Il manque une période – pour les deux fédérations – allant de 1996 à 1999.
2. Attention, les variations relatives sont dépendantes de la condition initiale (nombre de licenciés à T0).
3. D’avant la réforme des régions de 2014.
4. Les licenciés étant localisés selon leur domiciliation, et non celle de leur club.
5. France métropolitaine, Guadeloupe, Martinique, Guyane, Réunion et Mayotte pour les données de population disponibles.
6. Le nombre de licenciés étant celui additionné des deux fédérations considérées. Des doubles comptes sont possibles.
7. En effet, sur les 34 clubs répertoriés sur le site de la FFAAA (sur 37 en 2015), la moitié sont situés dans des communes à moins de 12,5 km à vol d’oiseau de Bordeaux (Bordeaux compris), les deux tiers à moins de 20 km.
8. En particulier, l’utilisation de fonction de corrélation de paires (avec variation temporelle) entre clubs et métropoles régionales d’une part, et entre clubs eux-mêmes, pourrait donner un aperçu des phénomènes de dissémination des pratiques proposées.
9. Samuel Juhle – Le paysage français des clubs d’arts martiaux – État des lieux et perspectives (sept. 2010).
10. Parcours et carrières sportifs en Aïkido- éléments statistiques.

A propos G.

Pratiquant lambda.
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9 commentaires pour L’aïkidô en France : quelques éléments d’une évolution démographique (deuxième partie)

  1. Loïc dit :

    j’ai fait à peu prêt le même constat : vieillissement de la population, peu de jeune actif (20-30 ans), difficulté à garder les nouveaux licenciers, etc.
    Un graphique qui serait complémentaire, c’est l’âge moyen de passage des différents Dan, en plus du Shodan mentionné (et puis l’évolution du taux de réussite aux examens qui montrait je pense un augmentation significative pouvant se traduire par un appauvrissement de l’Aïkido générale en France, mais c’est une autre question).

    • G. dit :

      Mes données (anciennes) sur l’âge moyen du passage sont, si mon souvenir est exact, que cet âge moyen augmente. Je n’ai malheureusement pas les données détaillées à ce niveau-là.
      Par contre, pour le taux de réussite aux examens, il convient de faire attention : la corrélation réelle à la qualité de la pratique est une question assez délicate à traiter.

  2. Duprez Jean-Marie dit :

    Bonjour et merci G. pour la diffusion de ces données sur l’aikido en France.
    Voilà un lien qui permet d’accéder à une publications un peu ancienne mais qui peut compléter les données précédentes.
    Ages_et_generations_dans_les_federations_de_sports_de_combat_et_d’arts_martiaux_en_France
    https://hal.archives-ouvertes.fr/halshs-00737929
    bonne lecture !

    • G. dit :

      Merci beaucoup M. Duprez pour ce lien. Votre travail (celui cité) m’a beaucoup éclairé sur certains points : l’idéal serait d’avoir un point complet sur les deux fédérations agréées annuellement, avec des considérations fines (comme celles que vous avez pu donner dans le document que vous avez produit sur la FFAAA).
      Merci encore !

  3. Ping : A lire en Juin 2017 – NicoBudo

  4. Ping : L’aïkido en perte de vitesse: au-delà des chiffres | Budo Musha Shugyo

  5. Pierre dit :

    Les drigeants de l aikido n ont que ce qu ils méritent. Copinage et egos surdipensionnes sont leurs principales caractéristiques.

  6. Ping : Communication : quelles valeurs recherchent les jeunes dans l'aikido ? - Aikido-Millennials

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