Aïkidô, batraciens, bovidés et autres objets

b90a3753-f05d-42ad-a2b4-09f9734e5918Il était une fois, dans le monde féérique des Budô, des grandes considérations sur l’organisation, la transmission et l’attractivité de nos disciplines. Alors que certains dissertent de la modestie décrétée, d’autres à trouver des solutions s’échinent. Des choses sont dites, certaines écrites, mais les questions restent et turlupinent. Quoi d’étonnant que de choses étranges émergent de cette cuisine ? Sur l’ensemble, trop est à raconter, mais peut-être sur l’aïkidô pouvons-nous nous centrer ?

Post-Introduction

Ce blog est ouvert depuis dix bonnes années, et je parcourais (et je parcours toujours, mais moins maintenant) différents fora consacrés aux arts martiaux avec gourmandise. Quelques constantes émergent, avec les tropismes propres à chaque culture (pays, discipline, etc.). Pour l’aïkidô, on peut résumer les choses ainsi : écoles/maîtres, point technique particulier, et organisations. Avec pour chaque point leurs subdivisions propres et des idées bien arrêtées (trop, parfois). Mais très souvent dans le respect et la curiosité de la pratique de l’autre, reconnaissons-le, ainsi qu’une certaine retenue (sauf sur les organisations, souvent), puisque le juge de paix reste le pragmatisme… Mais de temps en temps, on pouvait lire des sorties assez spéciales. Si les fora déclinent au profit des réseaux immédiats, au moins, les saillies diverses, sous le prétexte de modernité (ou autre) bien souvent, n’ont pas disparues. Banzai !

Commençons, et parlons de valeurs, par exemple. Tout d’abord il faut préciser que considérer un objet sous l’angle des valeurs qu’il véhicule est essentiellement une démarche de communication, qui vise essentiellement à attirer le chaland en enrobant le dit objet d’atours qui au mieux sont superflus, mais toujours très clinquants. Cette démarche est d’autant plus cousue de fil blanc que l’on peut souvent constater des mélanges de genre. Pour l’aïkidô, on peut ainsi lire des listes à la Prévert, où l’on trouve que discipline et maîtrise de soi sont deux choses différentes, que l’amour (ah, l’amour !) est présent mais aussi, pêle-mêle, où l’on invoque reishiki, shisei ou le fameux « respect de l’intégrité ». Donc rien à voir avec une valeur (ou plutôt une vertu cardinale, c’est-à-dire de la morale donc… un peu de philosophie). Approche superficielle. Mais quoi de mieux pour enchaîner sur la dialectique de l’égo, celle dont – en bon pratiquant – on ne peut être la victime alors que l’autre, oui. Forcément. Mais revenons brièvement aux valeurs. Puisque les valeurs sont floues – qu’est ce que l’amour en aïkidô1 ? – rien n’empêche d’en faire ce qu’on veut. Je proposerai donc : l’aïkidô, c’est souplesse, adaptation et tendresse. Comme un vieux pantalon de jogging auquel on reste attaché, non ? Et pour porter ça, point d’égo. L’idéal.

Conseils de pratiquant à pratiquant : le choc des cultures

513e6f9d-68d0-4d50-ba28-c3fe3c3d9453Comme nous venons de le voir, communiquer sur l’aïkidô n’induit pas forcément l’exactitude (ou même une approche raisonnable) : Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse ?, disait de Musset2. Pourtant, le problème est qu’attirer des nouveaux pratiquants ne passe pas par une publicité somme toute creuse (pour ne pas dire plus). Sauf si le licencié est une opération comptable, mais dans ce cas, il faut induire un renouvellement permanent. Ce n’est absolument pas gagné. On reviendra sur l’aspect pécuniaire plus bas. Donc conseiller le pratiquant devient souvent un bingo de truismes (puisqu’un quelconque approfondissement est à exclure). Voici une grille non exhaustive :

  • pour progresser, il faut pratiquer régulièrement.
  • pour progresser, il faut parfois aller en stage voir des pratiquants d’autres clubs.
  • pour progresser, on ne peut se contenter de contempler l’excellence.
  • pour progresser, on peut trouver parfois de l’aide dans différents médias.

En fait, pour être totalement exact… Seul le premier est une condition nécessaire, parfois suffisante (oui, ça dépend de son environnement d’entraînement). Les stages ? Avec qui ? Se contenter de contempler l’excellence ? Oui, c’est sûr… Mais ne pas connaître l’excellence, ça n’aide pas. Quant aux différents médias, lesquels et comment discerner ? On en vient à un petit truc en creux. L’expérience. La pratique régulière permet d’accumuler de l’expérience. Les stages ? Un cumul d’expérience. Contempler l’excellence ? Il paraît qu’à une époque, ça fonctionnait exclusivement comme cela dans certains milieux, mais lire l’excellence, ça se fait sur une base d’expérience. Et c’est justement l’expérience qui permet de ne pas tomber dans les caricatures comme :

  • « les grands stages ne permettent pas de progression technique ». Personne ne retire rien de tels stages, c’est l’évidence. Sarcasme mis à part, peut être qu’il y a comme un paradoxe avec l’idée même de l’observation attentive évoquée plus haut.
  • « les grands stages ne permettent pas de correction individuelle ». Tout dépend de l’organisation, et l’expérience montre que si. Mais peut-être que cette remarque laisse aussi transparaître un autre besoin (et là, on ne parle plus d’aïkidô).
  • « les grands stages peuvent entraîner des problématiques de sécurité ». Oui, mais n’importe quel cours peut le faire. On a tous (enfin, les pratiquants expérimentés) des exemples en tête, parfois légers, parfois plus… lourds. Hélas. Laisser penser qu’il y a lien de cause à effet est donc osé.

Et c’est pour cette raison d’expérience que nombre de deuxième dans avec brevet fédéral ne se lanceront pas dans des stages à donner. Jeunes ou pas3. Et ce n’est pas un manque d’audace, mais du réalisme (sur ce la portée initiale d’un brevet fédéral, déjà). C’est aussi pour cette raison, l’expérience, qu’il est peut être préférable d’avoir un cinquième dan pour animer un stage débutant qu’un deuxième dan4. Fut-il BF.

Enchérir à tout prix

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D’autres questions peuvent émerger – et il n’y a pas de mauvaises questions5. Par contre, il y a des réponses pour le moins étranges. La question – pas si récurrente que ça – du professionnalisme en aïkidô, par exemple. La professionnalisation d’une activité de loisir (c’est important de le rappeler) nécessite une assise financière large pour qu’une population d’enseignants professionnels (ne parlons pas d’experts, c’est différent) puisse en vivre. On peut gloser tant qu’on veut sur les stratégies à mettre en œuvre, mais elles se trouveront fatalement confrontées à la réalité du terrain. Et le terrain n’est pas favorable, il serait sain de ne pas l’oublier.

Alors quelles sont les pistes évoquées ? Voyons voir.

  • l’aïkidô scolaire (pour pouvoir travailler en journée). Effectivement, bonne idée. Je propose de faire une comparaison avec d’autres professionnels à faibles volumes horaires, professeurs de musique par exemple. Personnellement, je suppute quelques obstacles et un très très faible public de bénéficiaires.
  • Rémunération systématique des cours donnés. Effectivement bonne idée… si on travaille pour des ensembles avec un nombre de clients (et non d’adhérents) important. Ce modèle est totalement irréaliste pour la majorité des associations, à plus forte raison pour des populations à faible pouvoir d’achat. Au temps pour l’universalisme de la discipline et la diffusion de celle-ci. Sans parler même, pour les professionnels, du niveau de rémunération permettant un niveau de vie décent.
  • Développement des revenus liés à la formation en entreprise. Pour faire de l’aïkidô ou autre chose ? Même question que ci-dessus, dans le fond : quels clients à viser, pour qui, et où ? Un modèle métropolitain, avec peu d’élus.
  • Animation de démonstrations occasionnelles. Admettons. Et les uke nécessaires seront-ils aussi rémunérés ?
  • Développer la formation de formateurs. Je ne peux que me dire que c’est une conséquence, pas une cause. Est-on pour le moment en déficit réel de formateurs ? Alors que même les formations ne trouvent plus de « clients » ? C’est étonnant.
  • En développant des recettes de la vente de produits dérivés, etc. Sous quelles modalités ? Quels sont les droits associés6, les marges ? Peut-être que l’image d’un « deuxième dan BF » est vendeuse quelque part, mais j’ai des doutes. Peut-être qu’un équipementier va sortir un keikogi avec le nom d’un célèbre footballeur floqué dans le dos ? Succès garanti, sûrement.

D’autres idées, par exemple, sur la communication sont intéressantes (toute idée peut être à considérer). Par contre, ce qui me chiffonne n’est pas le budget, mais son usage … Toujours un point sensible, non ?

Enfin, la surenchère la plus problématique est une volonté de l’introduction d’une « diversité » (de représentation, bien entendu) dans les « affiches », afin que l’aïkidô soit « représentatif » de la population française. J’ai déjà dit tout le bien que je pensais de ce type d’argumentation (à l’endroit des femmes, en particulier) dans ce blog. Et ça vaut pour l’ensemble des gens, puisque les arguments restent les mêmes. Au passage, je crois me souvenir que l’image de l’aïkidô, en France comme dans le monde entier, est essentiellement celle d’un vieux monsieur japonais (me trompe-je ?).

Conclusion (provisoire, forcément)

La problématique de l’avenir de l’aïkidô (en France et dans le monde) est un sujet actuel. Les approches sont multiples, très souvent intéressantes. Cependant, je reste souvent très réservé sur certaines réponses, celles dont j’ai fait une liste partielle, qui m’apparaissent très précipitées ou faisant fi de réalités de terrain. Peut-on réellement appliquer une approche de type commerciale à une discipline sportive somme toute minoritaire ? Peut-on réellement induire un changement en supprimant des locomotives ? Peut-on réellement impulser une dynamique sans avoir une connaissance même sommaire de l’histoire et des évolutions démographiques de la discipline ? Qu’est-ce qui se fait à côté ? Dois-je continuer avec des titres de billets aussi cryptiques ? Et bien d’autres interrogations encore. Mais finalement, une des questions fondamentales est celle de la nature même de l’aïkidô : peut-on parler d’une survie si la discipline voit tout ou partie de son essence vidée au profit d’une approche trop superficielle ?

Notes

1. Sur cette notion même, les avis sont multiples.
2. Un peu de poésie ne nuit pas. Après tout, pourquoi l’aïkidô ne serait pas non plus poésie ?
3. L’expérience, c’est d’ailleurs ce qui se matérialise dans la relation senpai/kôhai, au sein d’un groupe d’entraînement. J’en profite pour remercier les miens et en particulier le tout premier d’entre eux, Patrick C., pas pressé pour passer un grade mais généreux dans l’accompagnement, et que j’ai malheureusement perdu de vue. J’espère qu’il va bien.
4. Je me permets de citer le site de la FFAAA, pour l’examen Yondan (quatrième dan donc). « Le niveau quatrième DAN doit permettre de manifester une maîtrise complète (tant pour Tori que pour Aïte/Uke) des techniques de base et de leurs variantes. » Cela implique naturellement que les niveaux précédents ne sont pas des niveaux de maîtrise complète, et donc d’un enseignement idéal pour un stage, fut-il de débutants.
5. En fait si, il y en a. Mais c’est une autre histoire, qui dépasse largement le cadre de ce blog.
6. Dont le droit d’auteur, régulièrement « oublié ».

A propos G.

Pratiquant lambda.
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