Doit-on « débunker » les arts martiaux ?

Les arts martiaux (et particulièrement extrême-orientaux) ont très souvent montré, et continuent de le faire, une image combinée d’efficacité, voire d’invincibilité, et de chemin vers une sagesse dépassionnée, faisant presque du pratiquant un anachorète. L’image est belle, passe souvent très bien auprès du grand public. Mais elle est sans doute loin de la vérité. En tout cas pour de celle d’une grande majorité des pratiquants, qui d’ailleurs n’en font pas mystère.

Un art martial ? Un débunkage ?

Article en anglais relatant l' »apparition » de l’aïkidô selon l’amiral Takeshita. Document proposé par Christopher Li du blog Aikido Sangenkai.

Avec un tel titre, ce billet devrait tout d’abord offrir une définition de ce qu’on parle. Qu’est-ce qu’un art martial ? Pour des ouvrages comme le Larousse (en ligne), un art martial est confondu avec un sport de combat asiatique, très souvent japonais. Définition assez restrictive. Ainsi, beaucoup de pratiquants opposent une dimension « sportive » à la dimension « martiale », en terme de cadre (combat « encadré » et « ritualisé » par rapport à une finalité « pratique »). En fait, il va falloir ici nous contenter d’une sorte de définition a minima1 : un art martial est une discipline de formation du corps dont la vocation est la gestion du combat (dans un contexte donné et non régulé, armé ou non) et qui peut présenter une dimension sportive à l’heure actuelle.

La deuxième définition est celle du débunkage. De fait, pour citer le blog « Menace théoriste » (qui traite de zététique, c’est-à-dire de l’approche critique des récits et surtout des vérités absolues mais pas forcément fondées), « le débunkage est un exercice qui consiste à prendre des déclarations et à montrer en quoi elles sont erronées ou trompeuses »2. De manière un peu plus élargie ici, on peut aussi utiliser le terme de démystification (utilisé en son temps par Henry Plée). L’idée même d’approche critique d’une discipline martiale, et plus largement des arts martiaux dans leur ensemble, peut sembler antinomique par rapport au concept d’héritage (ou de tradition) porté par les anciens, et redondante avec le concept de preuve par l’efficacité véhiculée par les modernes. Et bien, non, dans les deux cas. Formuler une approche critique revient à questionner ce qu’est un art martial (en particulier), et donc à distinguer les aspects « mythologiques » des faits, l’image de la réalité, et non pas à juger le bien fondé de la discipline questionnée (même si ceci peut en être une conséquence). Elle peut se faire selon trois axes : la pratique proprement dite, l’histoire de l’école/discipline et le contexte culturel à appliquer.

Chercher l’arbre que dissimule la forêt

Article du magazine Kingu sur le combat entre Choki Motobu et Jaan Kettel (publié en 1925). Le dessin d’illustration montre Gichin Funakoshi, et non Choki Motobu. Cette information involontairement erronée aura quelques conséquences.

Une approche critique se fait souvent en confrontant une information (ou un ensemble d’informations) donnée à l' »état de l’art »3. Le problème dans le cas des arts martiaux, est justement cet état de l’art, et son évolution au cours du temps : si le contexte historico-culturel d’une discipline est souvent bien connu et décrit4, il n’en est pas forcément de même pour l’histoire propre d’une école et encore moins pour l’utilisation du corps ou des armes qui y est faite. Les raisons en sont multiples : transmission restreinte ou défaillante, absence ou perte documentaire, problème de traduction(s)5, volonté de dissimulation, etc. Ainsi, pour ne citer qu’un exemple, l’histoire du karaté japonais, telle que nous la connaissons aujourd’hui, est différente sur de nombreux points de celle racontée il y a quelques années (et surtout en Europe), le rôle de l’école Shôtôkan et de son fondateur Gichin Funakoshi y étant surévalué6 souvent par ignorance. La conclusion qui en était tirée était souvent que le Shôtôkan est le karaté. Ce qui est faux : ce fait ne remet pas en cause l’intérêt intrinsèque de ce courant7, mais permet une ouverture vers les autres styles.

Si le cas évoqué consiste essentiellement en une mise au point historique, le débunkage a une application plus intéressante dans d’autres cas. Illustrons. Imaginons une école, une discipline, faisant sa publicité sur son caractère ancestral/ses techniques ultimes/la renommée de son chef de file/appartenance à une organisation internationale/etc. Publicité diffusée par des médias spécialisés, ou, à l’heure d’internet, par sites et forums. Avec ou non, selon la préférence, un soupçon de complotisme8. Cette école est, historiquement et/ou techniquement, un montage totalement inédit (et bancal). Si souvent, le propos ne tient pas longtemps face à un questionnement basique (« on ne te dit pas d’où ça vient ? Ça craint ! »9), ce n’est pas toujours le cas. Basiquement, parce que les gens qui s’adonnent à ce genre de choses savent aussi lire et se documenter un minimum10, et que dans le même temps, les écoles et acteurs « authentiques » (employons ce terme à défaut d’un autre) présentent parfois des profils avec beaucoup de zones d’ombres, pour ne pas dire aussi de désinformation. L’analyse critique permettra de pouvoir trier parmi des choix offerts : l’authentique kung-fu des samouraï pourra donc attendre.

« Débunker » les arts martiaux, c’est rechercher et partager

Le débunkage est, pour les disciplines martiales, tout d’abord lutter contre les idées reçues (pour ne pas écrire fantasmes), qui facilitent les falsifications11, en étayant son propos par des sources ad hoc (et des comparaisons pertinentes) et de pouvoir le diffuser. Cette tâche est simplifiée par une meilleure accessibilité à divers documents (quel que soit le support) et, sans doute, une meilleure (in)formation. Alors, est-réellement utile, dans le cadre d’une pratique ? Parce qu’elle peut éclairer justement sur les bases et développement de cette pratique en éliminant les aspects douteux, sûrement.

Notes et références

1. Définition personnelle.
2. Définition proposée dans l’article « Débunkage et entretien épistémique » par Acermendrax dans la partie « Tronche en biais » du blog cité.
3. L’état de l’art est l’ensemble (ou un extrait de cet ensemble) représentatif de la documentation pertinente traitant d’un sujet, à un moment donné.
4. Encore faut-il distinguer également la réalité documentée du folklore.
5. On pourra consulter à ce propos un article de Guillaume Erard sur le sujet.
6. L’article biographique sur Chôki Motobu paru dans le n°2 du magazine Yashima en est une illustration.
7. A ce propos, n’hésitez pas à aller lire l’interview d’un enseignant du courant cité, dans ce blog.
8. Axé souvent sur le « seul contre tous ». On reste relativement loin, en général, des Illuminati et de la Terre plate.
9. Chaîne youtube « Officiel Defakator ». A regarder aussi, le tuto « Faire ses propres recherches » et « Décrypter un débat foireux » sur la même chaîne.
10. L’école « Ogawa ryu » (ou Kaze ryu ou etc.) en est une excellente illustration (cf. ce billet de Léo Tamaki sur le sujet, par exemple).
11. On pourra consulter à ce propos l’article en trois parties sur quelques falsifications récurrentes dans les arts martiaux.

A propos G.

Pratiquant lambda.
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5 commentaires pour Doit-on « débunker » les arts martiaux ?

  1. Cefor dit :

    Beaucoup de blabla pour rien. La réponse est oui.

  2. Ping : A lire et à voir en mars 2019 – NicoBudo

  3. Sébastien Beaudry dit :

    C’est ce que je m’efforce de faire sur mon blog 😛 C’est plus facile à dire qu’à faire !

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