
Aïkidô, photographié par Magnus Hartman. Photo sous licence Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International
Parler d’arts martiaux, sports de combat et autres méthodes de protection personnelle est toujours un minimum compliqué, surtout quand on s’adresse à des personnes non pratiquantes. Les écueils sont souvent les mêmes, rencontrés en particulier lors du problème du choix de la discipline (quand il se pose). Aussi, on a beau conseiller de se renseigner, encore faut-il ne pas se renseigner n’importe comment, ou auprès de n’importe quelle source, comme on peut très vite s’en apercevoir. J’aimerais ici « désosser » un exemple de présentation mal renseignée.
Parlons d’aïkidô (enfin, essayons)
Il y a peu de temps, on m’a communiqué l’adresse d’un article intitulé La danse combative de l’aïkido posté dans la rubrique « Style de vie » du site internet du magazine féminin Biba, en me demandant ce que je pouvais bien en penser. Grosso modo, après lecture en diagonale, ce n’était pas du bien. Après réflexion, je me suis dit que cet article était un excellent support pour expliquer comment ne pas parler d’une discipline qu’on ne connaît visiblement pas, même superficiellement. La preuve ? Le titre, pour commencer. Si la comparaison à la danse est souvent vécu péjorativement, plusieurs personnes vous feront remarquer que l’aspect « connaissance du corps et de soi-même » est un point central de la pratique de la danse, et les danseurs à haut niveau sont bien souvent le résultat d’un travail acharné. Ceci étant dit, l’aïkidô ne peut se confondre avec la danse (quelle qu’en soit la forme), sauf peut-être avec des danses guerrières (qui existent réellement), ne serait-ce que par ses origines, les volontés exprimées de son créateur (le fameux « irimi et atémi ») et les différentes pratiques proposées.
L’introduction qui suit est une collection de poncifs : on y retrouve les mots clés « art martial » et « sport de combat » (un sujet en soi, que l’on peut par exemple trouvé abordé ici), « se concentrer », « bien se connaître », « gérer son stress ». Vous reconnaissez l’aïkidô ? Bien. Et quoi d’autre ? Mots clés suivi de « L’aïkido n’est pas destiné à vaincre, mais à trouver le moyen de se défendre en utilisant les faiblesses de son adversaire. » Certes. Ce qui s’oppose à « sport de combat », et pose la question sur ce qu’est se défendre (et ce que sont les faiblesses de son adversaire). Ça commence décidément très mal, car vous n’avez qu’une très vague idée de ce que peut-être l’aïkidô.
Et si on parlait d’aïkidô ?
Après une très jolie photo, présentant une pratiquante de… karaté (seule illustration de l’article) visiblement, l’article se poursuit avec la question : « L’aïkido, qu’est-ce que c’est ? ». Enfin ! On apprend que l’aïkidô est né au début du XXe siècle (si on veut, mais j’aurais plutôt dit vers 1930-1940), qu’il est un mélange de « de trois disciplines japonaises plus anciennes : le jujitsu, le kenjutsu et l’aïkijutsu » (si on veut, mais bon, jujûtsu est un terme générique comme kenjutsu, ou encore le terme aïkijutsu n’était pas réellement employé début XXe). « L’aïkido propose donc toutes les variantes des arts martiaux en une seule discipline » non, définitivement. Rien qu’une vague connaissance du réservoir japonais de disciplines martiales auraient dû tempérer cette affirmation osée. Le paragraphe se poursuit par « Il s’agit plus d’une performance sportive, comme une danse, où les adversaires tentent de se comprendre et de mettre à profit les erreurs de l’autre pour se protéger. » Je dois dire que j’ai un peu de mal à comprendre, comme pour le premier paragraphe. Si un sport n’implique pas forcément la notion de performance sportive, être un art martial ne devrait pas l’impliquer du tout (la compétition étant un outil et non une fin). La suite de la phrase pourrait convenir à toute pratique de combat, seule la notion de protection pouvant parfois être remplacée… Alors, l’aïkidô ? Qu’est-ce que c’est ? En fait, à ce stade, on ne sait toujours pas trop.
Le paragraphe suivant est consacré aux bienfaits de l’aïkidô, et aux contre-indications à la pratique. Si des bienfaits possibles et sans doute souhaitables sont mentionnés, qui pourraient cependant être cités pour un ensemble de pratiques martiales ou non, je reste stupéfait de lire : « Il n’existe pas de contre-indication particulière à la pratique de l’aïkido. » Bien au contraire, il en existe, comme par exemple les faiblesses articulaires (genoux, membres supérieurs) ou un mauvais état du dos. Et ce sans parler d’états passagers, comme être enceinte. D’ailleurs, cette absence de contre-indications est démentie de manière globale dans un autre article du même magazine intitulé « Quel sport de combat pratiquer ? » publié 8 jours plus tard. Dommage. Passons sur l’équipement nécessaire, suite du texte, puisqu’il est mentionné que l’aïkidô ne se pratique pas en kimono, mais en keikogi. Ce qui est vrai pour un ensemble non négligeable d’arts martiaux japonais, le kimono n’étant pas une tenue d’entraînement (traduction de keikogi justement). Le paragraphe aurait pu indiquer que cette tenue est parfois appelée dôgi ou aïkidôgi et qu’elle s’agrémente du hakama, selon les usages en cours. Le dernier paragraphe mentionne le lieu d’entraînement, un dôjô forcément, comme tous les arts martiaux. On avait déjà compris bien avant le souci.
Au final
Il est regrettable, non pas qu’un magazine « grand public » veuille présenter l’aïkidô (ou tout autre art martial), mais qu’il le fasse sans même s’être réellement renseigné apparemment. Et quand j’écris renseigné, je parle d’une simple recherche internet : en effet, la recherche du terme aïkido sur Google (au hasard) retourne sur les trois premiers résultats l’article consacré sur Wikipédia (illustré, et bibliographié) et les sites des deux fédérations agréées en France, la FFAAA et la FFAB. Un peu plus loin, on trouvera le site de la 3A (l’aïkido Kobayashi). Et quelques adresses proches de clubs, puisque Google géolocalise… Ce sans parler de sites, blogs et fora généralistes ou spécialisés, que cela soit en français ou en anglais, ou de références bibliographiques que l’on peut obtenir facilement. Aucun aspect spécifique à la cible du magazine (aïkidô et femmes) n’est non plus abordé, pas plus que le ressenti d’un cours d’essai.
Pour finir, il est intéressant de mentionner que cet article fait partie d’une série (en cours ?) sur les pratiques martiales. Après lecture, les articles se ressemblent tous, avec des contradictions internes (la photo de la pratiquante sur l’article Karaté : l’art martial de l’excellence est une pratiquante de taekwondo, pour le taekwondo, je dirais plutôt du « jujitsu »). Les articles sur le karaté et le « jujitsu » n’indiquent pas que les termes sont génériques, et recouvrent différents styles. Si le taekwondo voit la fédération délégataire mentionnée, et semble plus complet que les autres, il n’échappe en rien aux poncifs, approximations grossières et erreurs manifestes présentes dans la série. C’est bien dommage, les disciplines présentées ne méritant pas un si mauvais traitement, et les lectrices de repartir sans renseignement réel (et pratique, comme une adresse de site) sur les dites disciplines.
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